Renaissance du Clavecin de Bach par Matteo Messori et Ugo Casalonga

Renaissance du clavecin à deux claviers et pédales avec 10 jeux construit pour Bach

C’est grâce aux travaux de recherche approfondis de l’interprète bolognais Matteo Messori [1]
et à la tradition artisanale la plus pure du facteur de clavecins et luthier français Ugo Casalonga qu’est né le projet, unique en son genre, de reconstruire un Grosses Clavicymbal (grand clavecin) avec Pedalcembalo (clavecin à pédales), probablement projeté et construit sur les indications de Johann Sebastian Bach par Zacharias Hildebrandt, ami et facteur d’orgues privilégié du Kantor de Leipzig entre la fin des années trente et les premières années quarante du 18e siècle.

Cet instrument était en possession de Richter qui gérait le Café Zimmermann où le Collegium musicum dirigé par Bach s’est produit pendant plusieurs années. Selon des recherches récentes il est probable que c’est précisément sur cet instrument que furent jouées les « galantes » Sonates à 2 Clav. et Pedal écrites par Bach tout comme la plupart des œuvres aujourd’hui considérées abusivement comme organistiques écrites pour l’étude et l’exécution pedaliter des meilleurs élèves devant la société qui fréquentait les soirées du Café.

L’instrument, un vrai unicum possédait deux claviers manuels et un pédalier, dans la disposition suivante :

1er clavier : 16’(principal) et 8’(principal)
2e clavier : 8’(cornet), 4’(octave), 8’ (épinette) (Ce dernier seulement dans les deux octaves du bas)
Pédalier : 16, 16 (principaux), 8, 8(principaux), Quinte 8 (sic)
Ce clavecin disposait de deux types d’accouplement : sur clavier du bas grâce à des sautereaux dits en « pied-de-biche » (“dogleg”) et sur le clavier du haut par accouplement à tiroir.

La conception de l’instrument a suivi dans les moindres détails le style de la facture saxonne : les mesures des cordes et de la caisse, l’aspect visuel esthétique du bois, la disposition des chevalets et les divers niveaux de positionnement des différents registres, les mesures des claviers et des arcades, la forme du pédalier respectent, selon l’usage de cette région, les proportions basées sur les nombres de Fibonacci et l’unité de mesure saxonne du dix-huitième siècle.

Une étude approfondie de la construction interne particulière des bâtis et des matériaux a pu être réalisée grâce aux clavecins de Gottfried Silbermann (maître de Hildebrandt) ou de son école conservés à Berlin, Eisenach et Dresde et à ceux des Gräbner dont certains descendants étaient même des élèves de Bach. Les problèmes liées à la réalisation du jeu de 16’ manualiter, selon les pratiques historiques ont été étudiés attentivement d’après les réalisations de Stein (probable élève du petit-fils de Silbermann et du génial Friederici di Gera), de Swanen, de Merlin, de Harrass et des Hass, toutes conservées aujourd’hui dans leur état original.

Les claviers seront de 5 octaves (de FF à f3) et le pédalier aura l’extension de 30 pédales (de C à f1). Le 4’, que Bach souhaitait probablement sur le deuxième clavier à cause des possibilités supplémentaires qu’il offrait au sens organistique du terme, sera jouable aussi à partir du clavier inférieur grâce à un mécanisme spécifique.

Notre projet de construction d’un clavecin particulier est une exception dans le panorama musical actuel. Les tentatives d’un grand nombre de facteurs de réaliser des copies fidèles selon les normes de construction allemandes du 18e siècle se sont limitées presque toujours, dans tout le monde occidental, à la construction de clavecins basés sur quelques modèles, valables d’ailleurs, de l’école hambourgeoise (Zell) ou berlinoise (Mietke). Mais aujourd’hui, les toutes dernières recherches musicales, musicologiques et organologiques révèlent combien la construction des clavecins, dans les endroits où la musique allemande florissait le plus, c’est-à-dire la région entre la Thuringe et la Saxe (grâce aussi à la glorieuse activité de Bach) a été influencée par la facture d’orgues et par le goût organistique et indiquent jusqu’à quel point ces instruments étaient intimement liée à la formation des futurs organistes.

Une considération de nature sociologique ne peut être négligée : jusqu’à la très récente apparition des moteurs électriques (à partir de l’après-guerre environ) les orgues n’étaient jamais utilisés pour l’étude et on ne les entendait jouer que pendant la liturgie. L’usage de l’orgue exigeait la présence de plusieurs personnes autorisées – et payées – à actionner les soufflets pour fournir de l’air aux instruments. Voilà une condition imprévue, impraticable et même pas prise en compte par les anciennes écoles d’orgue. Les organistes étaient des claviéristes qui développaient leur technique, leur toucher et leur goût au moyen d’une étude quotidienne qui, à l’époque baroque, se faisait sur des instruments “de chambre” comme le clavecin et (dans les zones allemandes) le clavicorde. Dans les pays protestants, on organisait parfois dans les temples (surtout calvinistes ou parfois dans les églises luthériennes de la Ville libre de Hambourg), des concerts périodiques en dehors de la liturgie, mais ceci ne se voyait pas dans l’Électorat de la Saxe où Bach développait au maximum l’art organistique ainsi que la technique de la pédale obligatoire.

Pour un enseignement de l’orgue vraiment à jour, il est essentiel de « toucher » quotidiennement un clavier doté d’une ample gamme de raffinements quant à l’exécution doté d’une mécanique proche de celle du clavecin au niveau de la de production du son. Trop souvent les organistes actuels ne maîtrisent pas les possibilités et les sophistications du toucher parce qu’ils sont habitués à étudier sur des orgues dont les tuyaux “parlent” plutôt loin de leurs mains, de leurs pieds et leurs oreilles, dans des acoustiques trop généreuses qui couvrent les imperfections ou, encore pire, sur des orgues à transmission électrique ou pneumatique qui réduisent presque complètement la part de secret du toucher qui se développe pendant les années d’études (ce qui signifie que les jeunes étudiants ne peuvent pas l’apprendre in toto).

Un clavecin construit d’après les instruments qui ont survécu et selon les nombreux documents d’archive du 18e, a le plus possible l’aspect d’un orgue thuringien ou saxon en ce qui concerne sa disposition sonore et ses possibilités d’exécution. Il est sans aucun doute l’instrument idéal sur lequel peut se construire une pédagogie d’orgue et de clavecin actualisée et prolifique (finalement privée de la distinction académique entre la pratique des deux instruments, distinction tout à fait moderne et néfaste).

Si c’est vrai que les clavecins pédaliers sont nés pour des exigences organistiques, il est pourtant certain qu’ils furent utilisés souvent en concert. Dans la musique d’ensemble, ces instruments étaient particulièrement demandés en raison de leur possibilité de sonner en 16’ et de renforcer par conséquent, tout comme une contrebasse, la tessiture grave de l’ensemble.

Aujourd’hui, une grande partie de la musique de Bach et d’autres auteurs importants, est exécutée uniquement à l’orgue parce qu’elle nécessite deux claviers et un pédalier. Mais elle fût conçue à l’origine en tant que musique de chambre pour clavecin double avec pédalier : c’est le cas des Sonates en Trio BWV 525-530, mais aussi de la célèbre Passacaille BWV 582 et de nombreux Préludes et Fugues actuellement pensés comme destinés seulement à l’orgue, ainsi que des mouvements du Clavecin bien tempéré et probablement du Cinquième Concerto Brandebourgeois (composé à Cöthen, où l’on fit construire un clavecin pédalier précisément pendant les années durant lesquelles Bach était maître de chapelle de la cour).
Ce « redimensionnement » du rôle de l’orgue nous amène à considérer une nouvelle approche de l’enseignement, du « roi des instruments », dont la pratique devra inclure a priori, pour la littérature baroque, une étude profonde et historiquement informée du clavecin, et pour la littérature romantique, du piano.

En effet, au 19e siècle (qui abandonne presque complètement le clavecin pour des raisons de changement des goûts musicaux), en France et en Allemagne, on construisait en grande quantité des pianos-pédalier pour l’exercice des organistes. Cela a généré une littérature grandiose pour piano-pédalier (Schumann, Alkan, Liszt, Franck, Saint-Saëns, etc.).

Aujourd’hui, la prise en considération des clavecins historiques construits en Thuringe et en Saxe, cause de l’étonnement parce ceux-ci offrent des caractéristiques tout à fait différentes du goût “néoclassique”qui s’est rendu maître de ce qu’on appelle le monde de la musique ancienne et qui a stéréotypé le clavecin à double clavier (peu importe si de modèle français, flamand, allemand ou anglais) dans la disposition de deux registres de 8’, un pour chaque clavier, et d’un registre de 4’ (c’est-à-dire à l’octave haute) pour le clavier inférieur.

Les quelques instruments qui ont survécus et de nombreux documents (de la période 1710-1770) révèlent une présence fréquente du registre de 16’ (qui sonne à l’octave grave). Étant donné que celui-ci nécessitait des cordes extrêmement longues et/ou grosses et des tensions particulières, il représentait un défi difficile pour le facteur, que les maîtres de l’époque savaient résoudre avec de multiples façons. C’est bien ce registre qui donne à l’instrument cette merveilleuse Gravität tant appréciée à l’époque, et dont Bach parle souvent dans ses projets d’orgue.

Le registre de 16’ était également présent dans l’instrument indépendant que l’on mettait en dessous du clavecin et qui, posé par terre, mettait en action les sautereaux qui pincent les cordes au moyen d’un pédalier semblable à celui de l’orgue.

Ceux qui sont intéressés dans ce projet ou qui voudraient commander un exemplaire de ces deux instruments sont priés à contacter Matteo Messori et Ugo Casalonga par mail (pedalcembalo gmail.com ou aux adresses suivantes info matteomessori.com et ugo.casalonga wanadoo.fr).

(Traduction mise en forme par D. Ferran)


[1Matteo Messori , claveciniste, organiste et chef d’orchestre est spécialisé dans le répertoire musical baroque de l’Allemagne centrale. Il a enregistré l’intégrale de l’œuvre de Heinrich Schütz à la tête de l’ensemble «  Cappella Augustana  ». Son enregistrement de la troisième partie de la Clavierübung de J.S. Bach jouée sur trois orgues d’Allemagne centrale contemporains du Cantor a reçu récemment les 5 Diapasons. Prochainement suivront l’Art de la Fugue, les Variations canoniques et l’Offrande musicale.